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pitant dans le malheur. Avec la qualité de personne humaine, on leur enlève la possibilité d’y renoncer, excepté ceux qui sont déjà suffisamment préparés. Comme Dieu a créé notre autonomie pour que nous ayons la possibilité d’y renoncer par amour, pour la même raison nous devons vouloir la conservation de l’autonomie chez nos semblables. Celui qui est parfaitement obéissant tient pour infiniment précieuse la faculté de libre choix dans les hommes.

De même il n’y a pas contradiction entre l’amour de la beauté du monde et la compassion. Cet amour n’empêche pas de souffrir pour soi-même quand on est malheureux. Il n’empêche pas non plus de souffrir parce que d’autres sont malheureux. Il est sur un autre plan que la souffrance.

L’amour de la beauté du monde, tout en étant universel, entraîne comme amour secondaire et subordonné à lui-même l’amour de toutes les choses vraiment précieuses que la mauvaise fortune peut détruire. Les choses vraiment précieuses, sont celles qui constituent des échelles vers la beauté du monde, des ouvertures sur elle. Celui qui est allé plus loin, jusqu’à la beauté du monde elle-même, ne leur porte pas un amour moindre, mais beaucoup plus grand qu’auparavant.

De ce nombre sont les accomplissements purs et authentiques de l’art et de la science. D’une manière beaucoup plus générale, c’est tout ce qui enveloppe de poésie la vie humaine à travers toutes les couches sociales. Tout être humain est enraciné ici-bas par une certaine poésie terrestre, reflet de la lumière céleste, qui est son lien plus ou moins vaguement senti avec sa patrie universelle. Le malheur est le déracinement.

Les cités humaines principalement, chacune plus ou moins selon son degré de perfection, enveloppent de poésie la vie de leurs habitants. Elles sont des images et des reflets de la cité du monde. Au reste, plus elles ont la