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sence de finalité, d’intention, de discrimination, c’est l’absence d’intention en nous, c’est la renonciation à la volonté propre. Être parfaitement obéissant, c’est être parfait comme notre Père céleste est parfait.

Parmi les hommes, un esclave ne se rend pas semblable à son maître en lui obéissant. Au contraire, plus il est soumis, plus est grande la distance entre lui et celui qui commande.

Il en est autrement de l’homme à Dieu. Une créature raisonnable devient autant qu’il lui appartient l’image parfaite du Tout-Puissant si elle est absolument obéissante.

Ce qui en l’homme est l’image même de Dieu, c’est quelque chose qui en nous est attaché au fait d’être une personne, mais qui n’est pas ce fait lui-même. C’est la faculté de renoncement à la personne. C’est l’obéissance.

Toutes les fois qu’un homme s’élève à un degré d’excellence qui fait de lui par participation un être divin, il apparaît en lui quelque chose d’impersonnel, d’anonyme. Sa voix s’enveloppe de silence. Cela est manifeste dans les grandes œuvres de l’art et de la pensée, dans les grandes actions des saints et dans leurs paroles.

Il est donc vrai en un sens qu’il faut concevoir Dieu comme impersonnel, en ce sens qu’il est le modèle divin d’une personne qui se dépasse elle-même en se renonçant. Le concevoir comme une personne toute-puissante, ou bien, sous le nom du Christ, comme une personne humaine, c’est s’exclure du véritable amour de Dieu. C’est pourquoi il faut aimer la perfection du Père céleste dans la diffusion égale de la lumière du soleil. Le modèle divin, absolu, de ce renoncement en nous qui est l’obéissance, tel est le principe créateur et ordonnateur de l’univers, telle est la plénitude de l’être.

C’est parce que le renoncement à être une personne fait de l’homme le reflet de Dieu qu’il est si affreux de réduire les hommes à l’état de matière inerte en les préci-