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Entre Dieu et ces recherches partielles, inconscientes, parfois criminelles de la beauté, la seule médiation est la beauté du monde. Le christianisme ne s’incarnera pas tant qu’il ne se sera pas adjoint la pensée stoïcienne, la piété filiale pour la cité du monde, pour la patrie d’ici-bas qui est l’univers. Le jour où, par l’effet d’un malentendu aujourd’hui bien difficile à comprendre, le christianisme, s’est séparé du stoïcisme, il s’est condamné à une existence abstraite et séparée.

Les accomplissements même les plus élevés de la recherche de la beauté, par exemple dans l’art ou la science, ne sont pas réellement beaux. La seule beauté réelle, la seule beauté qui soit présence réelle de Dieu, c’est la beauté de l’univers. Rien de ce qui est plus petit que l’univers n’est beau.

L’univers est beau comme serait belle une œuvre d’art parfaite s’il pouvait y en avoir une qui méritât ce nom. Aussi ne contient-il rien qui puisse constituer une fin ou un bien. Il ne contient aucune finalité, hors la beauté universelle elle-même ; c’est là la vérité essentielle à connaître concernant cet univers, qu’il est absolument vide de finalité. Aucun rapport de finalité n’y est applicable, sinon par mensonge ou par erreur.

Dans un poème, si l’on demande pourquoi tel mot est à tel endroit, et s’il y a une réponse, ou bien le poème n’est pas de premier ordre, ou bien le lecteur n’a rien compris. Si on peut dire légitimement que le mot est là où il est pour exprimer telle idée, ou pour la liaison grammaticale, ou pour la rime, ou pour une allitération, ou pour remplir le vers, ou pour une certaine coloration, ou même pour plusieurs motifs de ce genre à la fois, il y a eu recherche de l’effet dans la composition du poème, il n’y a pas eu véritable inspiration. Pour un poème vraiment beau, la seule réponse, c’est que le mot est là parce qu’il convenait qu’il y fût. La preuve de cette convenance, c’est qu’il est là, et que le poème est beau. Le