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Il n’en est ainsi que de la beauté universelle. Mais, excepté Dieu, seul l’univers tout entier peut avec une entière propriété de termes être nommé beau. Tout ce qui est dans l’univers et moindre que l’univers peut être nommé beau seulement en étendant ce mot au delà de sa signification rigoureuse, aux choses qui ont indirectement part à la beauté, qui en sont des imitations.

Toutes ces beautés secondaires sont d’un prix infini comme ouvertures sur la beauté universelle. Mais si on s’arrête à elles, elles sont au contraire des voiles ; elles sont alors corruptrices. Toutes enferment plus ou moins cette tentation, mais à des degrés très divers.

Il y a aussi quantité de facteurs de séduction qui sont tout à fait étrangers à la beauté, mais à cause desquels, par manque de discernement, on nomme belles les choses où ils résident. Car ils attirent l’amour par fraude, et tous les hommes nomment beau tout ce qu’ils aiment. Tous les hommes, même les plus ignorants, même les plus vils, savent que la beauté seule a droit à notre amour. Les plus authentiquement grands le savent aussi. Aucun homme n’est au-dessous ni au-dessus de la beauté. Les mots qui expriment la beauté viennent aux lèvres de tous dès qu’ils veulent louer ce qu’ils aiment. Ils savent seulement plus ou moins bien la discerner.

La beauté est la seule finalité ici-bas. Comme Kant a très bien dit, c’est une finalité qui ne contient aucune fin. Une chose belle ne contient aucun bien, sinon elle-même, dans sa totalité, telle qu’elle nous apparaît. Nous allons vers elle sans savoir quoi lui demander. Elle nous offre sa propre existence. Nous ne désirons pas autre chose, nous possédons cela, et pourtant nous désirons encore. Nous ignorons tout à fait quoi. Nous voudrions aller derrière la beauté, mais elle n’est que surface. Elle est comme un miroir qui nous renvoie notre propre désir du bien. Elle est un sphinx, une énigme, un mystère douloureusement irritant. Nous voudrions nous en nour-