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matière psychique de l’âme, d’autre part l’autonomie essentielle aux personnes pensantes.

Par l’amour du prochain nous imitons l’amour divin qui nous a créés nous-mêmes ainsi que tous nos semblables. Par l’amour de l’ordre du monde nous imitons l’amour divin qui a créé cet univers dont nous faisons partie.

L’homme n’a pas à renoncer à commander à la matière et aux âmes, puisqu’il n’en possède pas le pouvoir. Mais Dieu lui a conféré une image imaginaire de ce pouvoir, une divinité imaginaire, afin qu’il puisse lui aussi, bien qu’étant une créature, se vider de sa divinité.

Comme Dieu, étant hors de l’univers, en est en même temps le centre, de même chaque homme a une situation imaginaire au centre du monde. L’illusion de la perspective le situe au centre de l’espace ; une illusion pareille fausse en lui le sens du temps ; et encore une autre illusion pareille dispose autour de lui toute la hiérarchie des valeurs. Cette illusion s’étend même au sentiment de l’existence, à cause de la liaison intime, en nous, du sentiment de la valeur et du sentiment de l’être ; l’être nous paraît de moins en moins dense à mesure qu’il est plus loin de nous.

Nous abaissons à son rang, au rang de l’imagination trompeuse, la forme spatiale de cette illusion. Nous y sommes obligés ; autrement nous ne percevrions pas un seul objet, nous ne nous dirigerions même pas assez pour savoir faire un seul pas d’une manière consciente. Dieu nous procure ainsi le modèle de l’opération qui doit transformer toute notre âme. Comme nous apprenons tout enfant à abaisser, à réprimer cette illusion dans le sentiment de l’espace, nous devons en faire autant à l’égard du sentiment du temps, de la valeur, de l’être. Autrement nous sommes incapables, sous tous les aspects autres que celui de l’espace, de discerner un seul objet, de diriger un seul pas.