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de l’autre à travers le pain ou le fer de l’épée. La matière du pain et le fer sont vierges, vides de bien et de mal, capables indifféremment de transmettre l’un et l’autre. Celui que le malheur contraint à recevoir le pain, à subir le coup, a l’âme exposée nue et sans défense à la fois au mal et au bien.

Il y a un seul moyen de ne jamais recevoir que du bien. C’est de savoir non pas abstraitement, mais avec toute l’âme que les hommes qui ne sont pas animés par la pure charité sont des rouages dans l’ordre du monde à la manière de la matière inerte. Dès lors tout vient directement de Dieu, soit à travers l’amour d’un homme, soit à travers l’inertie de la matière tangible ou psychique ; au travers de l’esprit ou de l’eau. Tout ce qui accroît l’énergie vitale en nous est comme le pain pour lequel le Christ remercie les justes ; tous les coups, les blessures et les mutilations sont comme une pierre lancée sur nous par la main même du Christ. Pain et pierre viennent du Christ et pénétrant à l’intérieur de notre être font entrer en nous le Christ. Pain et pierre sont amour. Nous devons manger le pain et nous offrir à la pierre de manière qu’elle s’enfonce dans notre chair le plus avant possible. Si nous avons une armure capable de protéger notre âme contre les pierres lancées par le Christ, nous devons l’ôter et la jeter.


Amour de l’ordre du monde

L’amour de l’ordre du monde, de la beauté du monde, est ainsi le complément de l’amour du prochain.

Il procède du même renoncement, image du renoncement créateur de Dieu. Dieu fait exister cet univers en consentant à ne pas y commander, bien qu’il en ait le pouvoir, mais à laisser régner à sa place, d’une part la nécessité mécanique attachée à la matière, y compris la