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d’hui une condamnation à six mois de prison. Rien n’est plus affreux que le spectacle si fréquent d’un accusé, n’ayant dans la situation où il se trouve aucune ressource au monde sinon sa parole, mais incapable de manier la parole à cause de son origine sociale et de son manque de culture, abattu par la culpabilité, le malheur et la peur, balbutiant devant des juges qui n’écoutent pas et qui l’interrompent en faisant ostentation d’un langage raffiné.

Tant qu’il y aura du malheur dans la vie sociale, tant que l’aumône légale ou privée et le châtiment seront inévitables, la séparation entre les institutions civiles et la vie religieuse sera un crime. L’idée laïque prise en elle-même est tout à fait fausse. Elle n’a quelque légitimité que comme réaction contre une religion totalitaire. À cet égard il faut avouer qu’elle est pour une part légitime.

Pour pouvoir être, comme elle le doit, présente partout, la religion non seulement ne doit pas être totalitaire, mais doit se limiter elle-même rigoureusement au plan de l’amour surnaturel qui seul lui convient. Si elle le faisait, elle pénétrerait partout. La Bible dit : « La Sagesse pénètre partout à cause de sa parfaite pureté. »

Par l’absence du Christ la mendicité au sens le plus large et le fait pénal sont peut-être les choses les plus affreuses qu’il y ait sur cette terre, deux choses presque infernales. Elles ont la couleur même de l’enfer. On peut y joindre la prostitution, qui est au vrai mariage ce que sont l’aumône et le châtiment sans charité à l’aumône et au châtiment justes.

L’homme a reçu le pouvoir de faire du bien et du mal non seulement au corps, mais à l’âme de son semblable, à toute l’âme chez ceux en qui Dieu n’est pas présent, à toute la partie de l’âme qui n’est pas habitée par Dieu chez les autres. Si un homme habité par Dieu, par la puissance du mal ou simplement par le mécanisme charnel donne ou punit, ce qu’il porte en lui entre dans l’âme