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des moments où penser à Dieu nous sépare de lui. La pudeur est la condition de l’union nuptiale.

Dans l’amour vrai, ce n’est pas nous qui aimons les malheureux en Dieu, c’est Dieu en nous qui aime les malheureux. Quand nous sommes dans le malheur, c’est Dieu en nous qui aime ceux qui nous veulent du bien. La compassion et la gratitude descendent de Dieu, et quand elles s’échangent en un regard, Dieu est présent au point où les regards se rencontrent. Le malheureux et l’autre s’aiment à partir de Dieu, à travers Dieu, mais non pas pour l’amour de Dieu ; ils s’aiment pour l’amour l’un de l’autre. Cela est quelque chose d’impossible. C’est pourquoi cela ne s’opère que par Dieu.

Celui qui donne du pain à un malheureux affamé pour l’amour de Dieu ne sera pas remercié par le Christ. Il a déjà eu son salaire dans cette seule pensée. Le Christ remercie ceux qui ne savaient pas à qui ils donnaient à manger.

Au reste le don n’est qu’une des deux formes possibles de l’amour des malheureux. Le pouvoir est toujours le pouvoir de faire du bien et du mal. Dans un rapport de forces très inégales, le supérieur peut être juste à l’égard de l’inférieur soit en lui faisant du bien avec justice, soit en lui faisant du mal avec justice. Dans le premier cas il y a aumône ; dans le second cas il y a châtiment.

Le châtiment juste, comme l’aumône juste, enveloppe la présence réelle de Dieu et constitue quelque chose comme un sacrement. Cela aussi est indiqué clairement dans l’Évangile. Cela est exprimé par les mots : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre. » Le Christ seul est sans péché.

Le Christ a épargné la femme adultère. La fonction du châtiment ne convenait pas à l’existence terrestre qui allait se terminer sur la croix. Mais il n’a pas prescrit d’abolir la justice pénale. Il a permis qu’on continuât à jeter des pierres. Partout où on le fait justement, c’est