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pourquoi saint Jean dit que l’Agneau a été égorgé dès la constitution du monde. Dieu a permis d’exister à des choses autres que lui et valant infiniment moins que lui. Il s’est par l’acte créateur nié lui-même, comme le Christ nous a prescrit de nous nier nous-mêmes. Dieu s’est nié en notre faveur pour nous donner la possibilité de nous nier pour lui. Cette réponse, cet écho, qu’il dépend de nous de refuser, est la seule justification possible à la folie d’amour de l’acte créateur. Les religions qui ont conçu ce renoncement, cette distance volontaire, cet effacement volontaire de Dieu, son absence apparente et sa présence secrète ici-bas, ces religions sont la religion vraie, la traduction en langage différent de la grande Révélation. Les religions qui représentent la divinité comme commandant partout où elle en a le pouvoir sont fausses. Même si elles sont monothéistes, elles sont idolâtres.

Celui qui, étant réduit par le malheur à l’état de chose inerte et passive, revient au moins pour un temps à l’état humain par la générosité d’autrui, celui-là, s’il sait accueillir et sentir l’essence véritable de cette générosité, reçoit à cet instant une âme issue exclusivement de la charité. Il est engendré d’en haut à partir de l’eau et de l’esprit. (Le mot de l’Évangile, anôthen, signifie d’en haut plus souvent que de nouveau.) Traiter le prochain malheureux avec amour, c’est quelque chose comme le baptiser.

Celui de qui provient l’acte de générosité ne peut agir comme il fait que s’il est transporté dans l’autre par la pensée. Lui aussi, à ce moment, est composé seulement d’eau et d’esprit.

La générosité et la compassion sont inséparables et ont l’une et l’autre leur modèle en Dieu, à savoir la création et la Passion.

Le Christ nous a enseigné que l’amour surnaturel du prochain, c’est l’échange de compassion et de gratitude