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mutuel, essence même de la justice, qui doit être la règle des échanges. La définition de la justice consistant dans le consentement mutuel, qui se trouvait dans la législation de Sparte, était sans doute d’origine égéocrétoise.

La vertu surnaturelle de justice consiste, si on est le supérieur dans le rapport inégal des forces, à se conduire exactement comme s’il y avait égalité. Exactement à tous égards, y compris les moindres détails d’accent et d’attitude, car un détail peut suffire à rejeter l’inférieur à l’état de matière qui dans cette occasion est naturellement le sien, comme le moindre choc congèle de l’eau restée liquide au-dessous de zéro degré.

Cette vertu pour l’inférieur ainsi traité consiste à ne pas croire qu’il y ait vraiment égalité de forces, à reconnaître que la générosité de l’autre est la seule cause de ce traitement. C’est ce qu’on nomme reconnaissance. Pour l’inférieur traité d’une autre manière, la vertu surnaturelle de justice consiste à comprendre que le traitement qu’il subit, d’une part est différent de la justice, mais d’autre part est conforme à la nécessité et au mécanisme de la nature humaine. Il doit demeurer sans soumission et sans révolte.

Celui qui traite en égaux ceux que le rapport des forces met loin au-dessous de lui leur fait véritablement don de la qualité d’êtres humains dont le sort les privait. Autant qu’il est possible à une créature, il reproduit à leur égard la générosité originelle du Créateur.

Cette vertu est la vertu chrétienne par excellence. C’est celle aussi qu’expriment dans le Livre des Morts égyptien des paroles aussi sublimes que celles mêmes de l’Évangile : « Je n’ai fait pleurer personne. Je n’ai jamais rendu ma voix hautaine. Je n’ai jamais causé de peur à personne. Je ne me suis jamais rendu sourd à des paroles justes et vraies. »

La reconnaissance chez le malheureux, quand elle est