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sont des ténèbres où le fort croit sincèrement que sa cause est plus juste que celle du faible. C’était le cas des Romains et des Hébreux.

Possibilité, nécessité, sont dans ces lignes les termes opposés à justice. Est possible tout ce qu’un fort peut imposer à un faible. Il est raisonnable d’examiner jusqu’où va cette possibilité. Si on la suppose connue, il est certain que le fort accomplira sa volonté jusqu’à l’extrême limite de la possibilité. C’est une nécessité mécanique. Autrement, ce serait comme s’il voulait et ne voulait pas en même temps. Il y a là nécessité pour le fort comme pour le faible.

Quand ces deux êtres humains ont à faire ensemble, et qu’aucun n’a le pouvoir de rien imposer à l’autre, il faut qu’ils s’entendent. On examine alors la justice, car la justice seule a le pouvoir de faire coïncider deux volontés. Elle est l’image de cet Amour qui en Dieu unit le Père et le Fils, qui est la pensée commune des pensants séparés. Mais quand il y a un fort et un faible il n’y a nul besoin d’unir deux volontés. Il n’y a qu’une volonté, celle du fort. Le faible obéit. Tout se passe comme quand un homme manie de la matière. Il n’y a pas deux volontés à faire coïncider. L’homme veut, et la matière subit. Le faible est comme une chose. Il n’y a aucune différence entre jeter une pierre pour éloigner un chien importun et dire à un esclave : « Chasse ce chien. »

Il y a pour l’inférieur, à partir d’un certain degré d’inégalité dans les rapports de force inégaux entre les hommes, passage à l’état de matière et perte de la personnalité. Les anciens disaient : « Un homme perd la moitié de son âme le jour où il devient esclave. »

La balance en équilibre, image du rapport égal des forces, a été de toute antiquité, et surtout en Égypte, le symbole de la justice. Elle a peut-être été un objet religieux avant d’être employée dans le commerce. Son usage dans le commerce est l’image de ce consentement