Page:Weil - Attente de Dieu, 1950.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laient forcer les habitants de la petite île de Mélos, alliée à Sparte de toute antiquité, et jusque-là demeurée neutre, à se joindre à eux. Vainement les Méliens, devant l’ultimatum athénien, invoquèrent la justice, implorèrent la pitié pour l’antiquité de leur ville. Comme ils ne voulurent pas céder, les Athéniens rasèrent la cité, firent mourir tous les hommes, vendirent comme esclaves toutes les femmes et tous les enfants.

Les lignes en question sont mises par Thucydide dans la bouche de ces Athéniens. Ils commencent par dire qu’ils n’essaieront pas de prouver que leur ultimatum est juste.

« Traitons plutôt de ce qui est possible… Vous le savez comme nous ; tel qu’est constitué l’esprit humain, ce qui est juste est examiné seulement s’il y a nécessité égale de part et d’autre. Mais s’il y a un fort et un faible, ce qui est possible est imposé par le premier et accepté par le second. »

Les Méliens dirent qu’en cas de bataille ils auraient les dieux avec eux à cause de la justice de leur cause. Les Athéniens répondirent qu’ils ne voyaient aucun motif de le supposer.

« Nous avons à l’égard des dieux la croyance, à l’égard des hommes la certitude, que toujours, par une nécessité de nature, chacun commande partout où il en a le pouvoir. Nous n’avons pas établi cette loi, nous ne sommes pas les premiers à l’appliquer ; nous l’avons trouvée établie, nous la conservons comme devant durer toujours ; et c’est pourquoi nous l’appliquons. Nous savons bien que vous aussi, comme tous les autres, une fois parvenus au même degré de puissance, vous agiriez de même. »

Cette lucidité d’intelligence dans la conception de l’injustice est la lumière immédiatement inférieure à celle de la charité. C’est la clarté qui subsiste quelque temps, là où la charité a existé, mais s’est éteinte. Au-dessous