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Mais la forme enveloppée de l’amour précède nécessairement, et souvent pendant très longtemps elle règne seule dans l’âme ; chez beaucoup peut-être jusqu’à la mort. Cet amour enveloppé peut atteindre des degrés très élevés de pureté et de force.

Chacune des formes dont cet amour est susceptible au moment où elle touche l’âme a la vertu d’un sacrement.


L’amour du prochain

Le Christ a indiqué cela assez clairement pour l’amour du prochain. Il a dit qu’il remercierait un jour ses bienfaiteurs en leur disant : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger. » Qui peut être le bienfaiteur du Christ, si ce n’est le Christ lui-même ? Comment un homme peut-il donner à manger au Christ, s’il n’est pas au moins pour un moment élevé à cet état dont parle saint Paul, où il ne vit plus lui-même en lui-même, où le Christ seul vit en lui ?

Dans le texte de l’Évangile, il est question seulement de la présence du Christ dans le malheureux. Pourtant il semble que la dignité spirituelle de celui qui reçoit ne soit pas du tout en cause. Il faut alors admettre que c’est le bienfaiteur lui-même, comme porteur du Christ, qui fait entrer le Christ dans le malheureux affamé avec le pain qu’il lui donne. L’autre peut consentir ou non à cette présence, exactement comme celui qui communie. Si le don est bien donné et bien reçu, le passage d’un morceau de pain d’un homme à un autre est quelque chose comme une vraie communion.

Les bienfaiteurs du Christ ne sont pas nommés par lui aimants ni charitables. Ils sont nommés les justes. L’Évangile ne fait aucune distinction entre l’amour du prochain et la justice. Aux yeux des Grecs aussi le respect de Zeus suppliant était le premier des devoirs de justice.