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est de leur faire connaître cette méthode, non pas seulement en général, mais dans la forme particulière qui se rapporte à chaque exercice. C’est le devoir, non seulement de leurs professeurs, mais aussi de leurs guides spirituels. Et ceux-ci doivent en plus mettre en pleine lumière, dans une lumière éclatante, l’analogie entre l’attitude de l’intelligence dans chacun de ces exercices et la situation de l’âme qui, la lampe bien garnie d’huile, attend son époux avec confiance et désir. Que chaque adolescent aimant, pendant qu’il fait une version latine, souhaite devenir par cette version un peu plus proche de l’instant où il sera vraiment cet esclave qui, pendant que son maître est à une fête, veille et écoute près de la porte pour ouvrir dès qu’on frappe. Le maître alors installe l’esclave à table et lui sert lui-même à manger.

C’est seulement cette attente, cette attention qui peuvent obliger le maître à un tel excès de tendresse. Quand l’esclave s’est épuisé de fatigue aux champs, le maître à son retour, lui dit : Prépare mon repas et sers-moi. Et il le traite d’esclave inutile qui fait seulement ce qui lui est commandé. Certes il faut faire dans le domaine de l’action tout ce qui est commandé, au prix de n’importe quel degré d’effort, de fatigue et de souffrance, car celui qui désobéit n’aime pas. Mais après cela on n’est qu’un esclave inutile. C’est une condition de l’amour, mais elle ne suffit pas. Ce qui force le maître à se faire l’esclave de son esclave, à l’aimer, ce n’est rien de tout cela ; c’est encore moins une recherche que l’esclave aurait la témérité d’entreprendre de sa propre initiative ; c’est uniquement la veille, l’attente et l’attention.

Heureux donc ceux qui passent leur adolescence et leur jeunesse seulement à former ce pouvoir d’attention. Sans doute ils ne sont pas plus proches du bien que leurs frères qui travaillent dans les champs et les usines. Ils sont proches autrement. Les paysans, les ouvriers possèdent cette proximité de Dieu, d’une saveur incom-