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En dehors même de toute croyance religieuse explicite, toutes les fois qu’un être humain accomplit un effort d’attention avec le seul désir de devenir plus apte à saisir la vérité, il acquiert cette aptitude plus grande, même si son effort n’a produit aucun fruit visible. Un conte esquimau explique ainsi l’origine de la lumière : « Le corbeau qui dans la nuit éternelle ne pouvait pas trouver de nourriture, désira la lumière, et la terre s’éclaira. » S’il y a vraiment désir, si l’objet du désir est vraiment la lumière, le désir de lumière produit la lumière. Il y a vraiment désir quand il y a effort d’attention. C’est vraiment la lumière qui est désirée si tout autre mobile est absent. Quand même les efforts d’attention resteraient en apparence stériles pendant des années, un jour une lumière exactement proportionnelle à ces efforts mondera l’âme. Chaque effort ajoute un peu d’or à un trésor que rien au monde ne peut ravir. Les efforts inutiles accomplis par le Curé d’Ars, pendant de longues et douloureuses années, pour apprendre le latin, ont porté tout leur fruit dans le discernement merveilleux par lequel il apercevait l’âme même des pénitents derrière leurs paroles et même derrière leur silence.

Il faut donc étudier sans aucun désir d’obtenir de bonnes notes, de réussir aux examens, d’obtenir aucun résultat scolaire, sans aucun égard aux goûts ni aux aptitudes naturelles, en s’appliquant pareillement à tous les exercices, dans la pensée qu’ils servent tous à former cette attention qui est la substance de la prière. Au moment où on s’applique à un exercice, il faut vouloir l’accomplir correctement ; parce que cette volonté est indispensable pour qu’il y ait vraiment effort. Mais à travers ce but immédiat l’intention profonde doit être dirigée uniquement vers l’accroissement du pouvoir d’attention en vue de la prière, comme lorsqu’on écrit on dessine la forme des lettres sur le papier, non pas en vue de cette forme, mais en vue de l’idée à exprimer.