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que je vous ai avouées, je pense, à regarder les choses raisonnablement et froidement, que j’ai plus de cause légitime de craindre la colère de Dieu que beaucoup de grands criminels.

Ce n’est pas que je la craigne en fait. Par un retournement étrange, la pensée de la colère de Dieu ne suscite en moi que de l’amour. C’est la pensée de la faveur possible de Dieu, de sa miséricorde, qui me cause une sorte de crainte, qui me fait trembler.

Mais le sentiment d’être pour le Christ comme un figuier stérile me déchire le cœur.

Heureusement Dieu peut facilement envoyer, non seulement les mêmes pensées, si elles sont bonnes, mais beaucoup d’autres beaucoup meilleures dans un être intact et capable de le servir.

Mais qui sait si celles qui sont en moi ne sont pas au moins partiellement destinées à ce que vous en fassiez quelque usage ? Elles ne peuvent être destinées qu’à quelqu’un qui ait un peu d’amitié pour moi, et d’amitié véritable. Car pour les autres, en quelque sorte, je n’existe pas. Je suis couleur feuille morte, comme certains insectes.

Si dans tout ce que je viens de vous écrire quelque chose vous paraît faux et déplacé sous ma plume, pardonnez-le-moi. Ne soyez pas irrité contre moi.

Je ne sais pas si, au cours des semaines et des mois qui vont venir, je pourrai vous donner de mes nouvelles ou recevoir des vôtres. Mais cette séparation n’est un mal que pour moi et par suite n’a pas d’importance.

Je ne peux que vous affirmer encore ma gratitude filiale et mon amitié sans limites.


Simone Weil.