Page:Weil - Attente de Dieu, 1950.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sées et de toutes celles qui les accompagnent dans mon esprit. D’abord l’imperfection considérable que j’ai la lâcheté de laisser subsister en moi me met à une distance bien trop grande du point où elles sont applicables. Cela est impardonnable de ma part. Une si grande distance, dans le meilleur des cas, ne peut être franchie qu’avec du temps.

Mais quand même je l’aurais déjà franchie, je suis un instrument pourri. Je suis trop épuisée. Et même si je croyais à la possibilité d’obtenir de Dieu la réparation des mutilations de la nature en moi, je ne pourrais me résoudre à la demander. Même si j’étais sûre de l’obtenir, je ne pourrais pas. Une telle demande me semblerait une offense à l’Amour infiniment tendre qui m’a fait le don du malheur.

Si personne ne consent à faire attention aux pensées qui, je ne sais comment, se sont posées dans un être aussi insuffisant que moi, elles seront ensevelies avec moi. Si, comme je crois, elles contiennent de la vérité, ce sera dommage. Je leur porte préjudice. Le fait qu’elles se trouvent être en moi empêche qu’on fasse attention à elles.

Je ne vois que vous dont je puisse implorer l’attention en leur faveur. Votre charité, dont vous m’avez comblée, je voudrais qu’elle se détourne de moi et se dirige vers ce que je porte en moi, et qui vaut, j’aime à le croire, beaucoup mieux que moi.

C’est une grande douleur pour moi de craindre que les pensées qui sont descendues en moi ne soient condamnées à mort par la contagion de mon insuffisance et de ma misère. Je ne lis jamais sans frémir l’histoire du figuier stérile. Je pense qu’il est mon portrait. En lui aussi la nature était impuissante, et pourtant il n’a pas été excusé. Le Christ l’a maudit.

C’est pourquoi, bien qu’il n’y ait peut-être pas dans ma vie de fautes particulières vraiment graves hors celles