Page:Weil - Attente de Dieu, 1950.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion à votre égard est semblable à celle d’un mendiant, réduit par le dénuement à avoir toujours faim, qui pendant un an serait allé de temps à autre dans une maison prospère chercher du pain, et qui pour la première fois de sa vie n’y aurait pas subi d’humiliations. Un tel mendiant, s’il avait une vie à donner en échange de chaque morceau de pain, et s’il les donnait toutes, penserait que sa dette n’en est pas diminuée.

Mais en plus pour moi le fait qu’avec vous les relations humaines enferment perpétuellement la lumière de Dieu doit porter la gratitude encore à un tout autre degré.

Pourtant je ne vais vous donner aucun témoignage de gratitude, sinon de vous dire à votre sujet des choses qui pourront vous causer une irritation légitime à mon égard. Car il ne me convient aucunement de les dire ni même d’y penser. Je n’en ai pas le droit, et je le sais bien.

Mais comme en fait je les ai pensées je n’ose pas vous les taire. Si elles sont fausses, elles ne feront pas de mal. Il n’est pas impossible qu’elles contiennent de la vérité. En ce cas il y aurait lieu de croire que Dieu vous envoie cette vérité à travers la plume qui se trouve être dans ma main. Il y a des pensées auxquelles il convient d’être envoyées par inspiration, d’autres auxquelles il convient mieux d’être envoyées par l’intermédiaire d’une créature, et Dieu se sert de l’une ou l’autre voie avec ses anus. Il est bien connu que n’importe quelle chose, par exemple une ânesse, peut indifféremment servir d’intermédiaire. Dieu se plaît même peut-être à choisir à cet usage les objets les plus vils. J’ai besoin de me dire ces choses pour n’avoir pas peur de mes propres pensées.

Quand je vous ai mis par écrit une esquisse de mon autobiographie spirituelle, c’était avec une intention. Je voulais vous procurer la possibilité de constater un exem-