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inutile, elle n’a plus de sens. La seule chose qui reste à espérer, c’est la grâce de ne pas désobéir ici-bas. Le reste n’est l’affaire que de Dieu et ne nous regarde pas.

C’est pourquoi, bien que mon imagination, mutilée par une souffrance trop longue et ininterrompue, ne puisse pas recevoir la pensée du salut en tant que chose possible pour moi, il ne me manque rien. Ce que vous me dites à ce sujet ne peut avoir d’autre effet sur moi que de me persuader que vous avez vraiment pour moi quelque amitié. À cet égard votre lettre m’a été très précieuse. Elle n’a pu opérer autre chose en moi. Mais ce n’était pas nécessaire,

Je connais assez ma misérable faiblesse pour supposer qu’un peu de fortune contraire suffirait peut-être à emplir mon âme de souffrances au point de n’y laisser pendant longtemps aucune place pour les pensées que je viens de vous exprimer. Mais cela même importe peu. La certitude n’est pas soumise aux états d’âme. La certitude est toujours en parfaite sécurité.

Il y a seulement une occasion où je ne sais vraiment plus rien de cette certitude. C’est le contact avec le malheur d’autrui. Les indifférents et les inconnus aussi bien, peut-être même davantage, y compris ceux des siècles passés les plus lointains. Ce contact me fait si atrocement mal, me déchire tellement l’âme de part en part, que l’amour de Dieu m’en devient quelque temps presque impossible. Il s’en faut de bien peu que je ne dise impossible. Au point que cela m’inquiète pour moi. Je me rassure un peu en me souvenant que le Christ a pleuré en prévoyant les horreurs du sac de Jérusalem. J’espère qu’il pardonne à la compassion.

Vous m’avez fait mal en m’écrivant que le jour de mon baptême serait pour vous une grande joie. Après avoir tant reçu de vous, il est ainsi en mon pouvoir de vous causer une joie ; et pourtant il ne me vient pas même une seconde la pensée de le faire. Je n’y peux rien. Je