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pas, n’ôte rien à l’affreuse amertume du malheur, ne guérit pas la mutilation de l’âme. Mais on sait d’une manière certaine que l’amour de Dieu pour nous est la substance même de cette amertume et de cette mutilation.

Je voudrais, par gratitude, être capable d’en laisser le témoignage.

Le poète de l’Iliade a suffisamment aimé Dieu pour avoir cette capacité. Car c’est à la signification implicite du poème et l’unique source de sa beauté. Mais on ne l’a guère compris.

Quand même il n’y aurait rien de plus pour nous que la vie d’ici-bas, quand même l’instant de la mort ne nous apporterait rien de nouveau, la surabondance infinie de la miséricorde divine est déjà secrètement présente ici-bas tout entière.

Si, par une hypothèse absurde, je mourais sans jamais avoir commis de fautes graves et tombais néanmoins à ma mort au fond de l’enfer, je devrais quand même à Dieu une gratitude infinie pour son infinie miséricorde à cause de ma vie terrestre, et cela quoique je sois un objet si mal réussi. Même dans cette hypothèse je penserais quand même avoir reçu toute ma part dans la richesse de la miséricorde divine. Car dès ici-bas nous recevons la capacité d’aimer Dieu et de nous le représenter en toute certitude comme ayant pour substance la Joie réelle, éternelle, parfaite et infinie. À travers les voiles de la chair nous recevons d’’en-haut des pressentiments d’éternité suffisants pour effacer à ce sujet tous les doutes.

Que demander, que désirer de plus ? Une mère, une amante, ayant la certitude que son fils, que son amant est dans la joie, n’aurait pas en son cœur une pensée capable de demander ou désirer autre chose. Nous avons bien davantage. Ce que nous aimons est la joie parfaite elle-même. Quand on le sait, l’espérance même devient