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messe pour croire que Dieu est riche en miséricorde. Je connais cette richesse avec la certitude de l’expérience, je l’ai touchée. Ce que j’en connais par contact dépasse tellement ma capacité de compréhension et de gratitude que même la promesse de félicités futures ne pourrait rien y ajouter pour moi ; de même que pour l’intelligence humaine l’addition de deux infinis n’est pas une addition.

La miséricorde de Dieu est manifeste dans le malheur comme dans la joie, au même titre, plus encore peut-être, parce que sous cette forme elle n’a aucun analogue humain. La miséricorde de l’homme n’apparaît que dans le don de la joie ou bien dans l’infliction d’une douleur en vue d’effets extérieurs, guérison du corps ou éducation. Mais ce ne sont pas les effets extérieurs du malheur qui témoignent de la miséricorde divine. Les effets extérieurs du vrai malheur sont presque toujours mauvais. Quand on veut le dissimuler, on ment, C’est dans le malheur lui-même que resplendit la miséricorde de Dieu. Tout au fond, au centre de son amertume inconsolable. Si on tombe en persévérant dans l’amour jusqu’au point où l’âme ne peut plus retenir le cri « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné », si on demeure en ce point sans cesser d’aimer, on finit par toucher quelque chose qui n’est plus le malheur, qui n’est pas la joie, qui est l’essence centrale, essentielle, pure, non sensible, commune à la joie et à la souffrance, et qui est l’amour même de Dieu.

On sait alors que la joie est la douceur du contact avec l’amour de Dieu, que le malheur est la blessure de ce même contact quand il est douloureux, et que le contact lui-même importe seul, non pas la modalité.

De même, si on revoit un être très cher après une longue absence, les mots qu’on échange avec lui n’importent pas, mais seulement le son de sa voix qui nous assure de sa présence.

La connaissance de cette présence de Dieu ne console