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un assez bon prix. » Mais une jeune fille qu’on est en train de mettre de force dans une maison de prostitution ne parlera pas de ses droits. Dans une telle situation, ce mot semblerait ridicule à force d’insuffisance.

C’est pourquoi le drame social, qui est analogue à la seconde situation, est apparu faussement, par l’usage de ce mot, comme analogue à la première.

L’usage de ce mot a fait, de ce qui aurait dû être un cri jailli du fond des entrailles, une aigre criaillerie de revendication, sans pureté ni efficacité.


La notion de droit entraîne naturellement à sa suite, du fait même de sa médiocrité, celle de personne, car le droit est relatif aux choses personnelles. Il est situé à ce niveau.

En ajoutant au mot de droit celui de personne, ce qui implique le droit de la personne à ce qu’on nomme l’épanouissement, on ferait un mal encore bien plus grave. Le cri des opprimés descendrait plus bas encore que le ton de la revendication, il prendrait celui de l’envie.

Car la personne ne s’épanouit que lorsque du prestige social la gonfle ; son épanouissement est un privilège social. On ne le dit pas aux foules en leur parlant des droits de la personne, on leur dit le contraire. Elles ne disposent pas d’un pouvoir suffisant d’analyse pour le reconnaître clairement par elles-mêmes ; mais elles le sentent, leur expérience quotidienne leur en donne la certitude.

Ce ne peut être pour elles un motif de repousser ce mot d’ordre. À notre époque d’intelligence obscurcie, on ne fait aucune difficulté de réclamer pour tous une part égale aux privilèges, aux choses qui ont pour essence d’être des privilèges. C’est une espèce de revendication à la fois absurde et basse ; absurde, parce