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velles ; je suis heureux que tel soit mon cas. A présent, je m’opposerais à tout pansement, à tous soins, car je n’aurais plus d’emploi de la vie. Nous courons après les grandeurs comme les enfants après les bulles de savon... Qu’est-ce que le bonheur ? Une trêve accordée par la fièvre ! Un repos qui nous prépare à endurer de nouvelles tortures ! Inutile de poursuivre mes assassins... Rappelez-moi au souvenir de Délio...

BOSOLA. — Brise-toi, pauvre cœur !

ANTONIO. — Puisse mon fils fuir la cour des princes ! (Il meurt.)

BosOLA. — Tu semblés avoir eu quelque affection pour Antonio...

Le serviteur. — Je l’avais conduit jusqu’ici. Il se flattait de se réconcilier avec le cardinal...

BOSOLA . — Transporte ce mort dans l’aile du palais qu’occupait la signora Julia... Oh ! ma tâche touche à sa fin !... Déjà j’ai attiré le cardinal dans la forge ; il s’agit encore de l’entraîner sous le marteau. .. Fatale méprise ! Confusion des actions glorieuses avec les actions viles ! Je ne me retrouve plus moi-même et j’ai l’air de jouer un rôle pour le néant et le silence ! [Exeunt.)

SCENE V

Une autre pièce dans le palais de Milan.

Entre LE CARDINAL avec un livre.

Le CARDINAL. — Une question concernant l’enfer ne laisse pas de m’inquiéter. Il est dit ici que quoique d’essence purement physique, le feu de l’enfer ne brûlera pas tous les hommes de la même façon. 0,1a chose encombrante qu’une mauvaise conscience ! Lorsqu’il m’arrive de contempler les viviers de mon parc, il me semble apercevoir sous l’eau, je ne sais quelle forme hideuse armée d’un harpon dont elle me menace. ( Entrent Bosola et le serviteur portant le corps d’Antonio). Eh bien ! Te voilà ! Quel air lugubre ! Ton visage exprime à la fois la crainte et la résolution...

Bosola. — Voilà qui me dispense de tout autre préambule. Je suis venu pour te tuer...

Le CARDINAL. — Ha ! Au secours ! A moi ! mes gardes !

Bosola. — Tu as beau crier, ils ne t’entendront pas...

Le CARDINAL. — Arrête ! Et je partagerai loyalement avec toi la totalité de mes revenus.

Bosola. — Tes prières ne sont pas plus de saison que tes offres...

Le CARDINAL. — A moi, mes gardes ! Trahison !...