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moyens de pénétrer secrètement dans sa chambre ; je le visiterai, vers minuit et à l’improviste, comme son frère visita autrefois notre noble duchesse. Il se peut que la crainte subite du danger — car je me présenterai sans déguisement — aussitôt dissipée par mon attitude respectueuse et sympathique, extraie tout poison de son cœur et provoque même une réconciliation entre nous. Si cette suprême tentative échoue, je serai du moins débarrassé de cette misérable existence. Car mieux vaut tomber brusquement que déchoir par degrés.

Délio. — Va, je te seconderai dans tout danger. Ma vie n’est-elle pas liée à la tienne ?

Antonio. — Tu es toujours le meilleur et le plus aimé des amis.


Scène II

Une galerie du palais du cardinal à Turin.


Entrent PESCARA et un docteur.


Pescara. — Eh bien, docteur, m’est-il permis de voir votre malade ?

Le docteur. — C’est comme il plaira à Votre Seigneurie. Si vous voulez attendre ici un instant, il va venir prendre l’air dans cette galerie.

Pescara. — Pourriez-vous me dire de quelle affection il souffre ?

Le docteur. — D’un mal terrible, de la lycanthropie…

Pescara. — Qu’est cela ? Veuillez me l’expliquer…

Le docteur. — Voici. Ceux qui en sont atteints distillent une si noire mélancolie qu’ils s’imaginent être transformés en loups. La nuit il s’introduisent secrètement dans les cimetières pour y déterrer les cadavres. Ainsi il y a deux nuits, on rencontra le duc, vers minuit, derrière l’église Saint-Marc, portant sur l’épaule la jambe d’un mort. Il hurlait horriblement et se donnait pour un loup, en expliquant que contrairement à la plupart des autres loups, il avait la peau velue à l’intérieur. Il offrit même à ceux qui l’avaient rejoint, de l’écorcher et de vérifier ainsi la vérité de ce qu’il avançait. On me fît aussitôt appeler ; je lui administrai un médicament et le trouvai quelque temps après, complètement remis de cet accès.

Pescara. — Je suis heureux de ce rétablissement…

Le docteur. — Si la folie le reprenait, je le soumettrais à un traitement d’une violence telle que Paracelse n’eût jamais osé en rêver de pareil. Bien entendu il faut qu’on me donne carte blanche. C’est à coups de poing que j’extirperai sa démence. Écartez-vous. Le voici.