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Ferdinand. — Je t’accorderai l’impunité…

Bosola. — Parbleu !

Ferdinand. — Et c’est bien la plus grande faveur que je puisse dispenser sur ton exécrable personne. Parle, dis-moi quelle autorité t’a fait exécuter cette sentence inique ?

Bosola. — La vôtre.

Ferdinand. — La mienne ! Étais-je son juge ? Quel texte de loi la condamnait à périr ? Un jury régulièrement constitué a-t-il prononcé sa culpabilité devant le tribunal ? Où ce jugement sera-t-il enregistré ailleurs qu’en enfer ? Écoute, brute sanguinaire que tu es, cette action t’enlève ton droit à la vie, il faut ta mort pour l’expier…

Bosola. — Du moment que les criminels s’avisent de s’entretuer, il est certain que les magistrats vont pouvoir se reposer… Qui oserait révéler ceci ?

Ferdinand. — Qui ? Je le sais, moi. Les loups trouveront sa tombe et en gratteront la terre non pas pour dévorer le cadavre, mais pour dénoncer l’horrible meurtre…

Bosola. — Cette découverte ne fera trembler que vous.

Ferdinand. — Va-t’en !…

Bosola. — Je veux d’abord toucher mon salaire…

Ferdinand. — Misérable !…

Bosola. — C’est l’ingratitude qui parle…

Ferdinand. — Horreur ! Et dire que celui qui enchaîne les démons est impuissant à imposer leur devoir aux hommes !… Ne reparais plus jamais devant moi !…

Bosola. — Eh bien, soit. Adieu. Un digne couple que votre frère et vous. Deux cœurs aussi pourris que les sépulcres de l’Évangile et capables d’en pourrir d’autres ! Ils frappent du même coup, comme deux boulets enchaînés ! Ah ! vous méritiez bien d’être frères ; la trahison et la peste sont aussi enfants du même lit… Moi j’ai commis le mal en somnambule, et je me fais horreur depuis que je suis réveillé…

Ferdinand. — Pars pour quelque contrée ignorée ; que je ne te revoie jamais plus.

Bosola. — M’apprendrez-vous enfin pourquoi vous me traitez ainsi ? À vous servir, Seigneur, j’ai mis toute mon ambition et tout mon zèle, dût-il m’en coûter l’estime du reste de l’univers. Malgré mon aversion pour le mal, j’en vins à chérir celui qui me le commandait, plus soucieux d’être un serviteur dévoué qu’un honnête homme.

Ferdinand. — C’est l’heure des hiboux, un temps propice à la chasse au blaireau. Bon temps aussi pour les œuvres de ténèbres. (Il sort.)