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sanes débauchées, je la ferai servir par des prostituées et des ruffians, et pour ébranler totalement sa raison, je suis décidé à extraire les fous de leur hôpital et à les enfermer près de son appartement. Là je leur laisserai toute liberté de se chamailler, de chanter, de danser et de se trémousser jusqu’à la pleine lune. Tant mieux, si elle parvient à s’endormir. Laisse-moi faire ! Ta tâche est à peu près terminée.

Bosola. — Me faut-il la revoir ?

Ferdinand. — Assurément.

Bosola. — Jamais…

Ferdinand. — Tu le dois…

Bosola. — Jamais, du moins, sous ma véritable forme. Depuis cette cruelle comédie, mon esprit refuse de se prêter à de nouvelles tortures. Ô ! lorsque vous me renverrez auprès d’elle, que ce soit enfin pour la soulager…

Ferdinand. — C’est probable. Toutefois, cette pitié chez toi est une anomalie ! Antonio se cache à Milan. Tu t’y rendras sous peu pour allumer un incendie digne de ma vengeance ; elle ne se calmera qu’après avoir consumé son dernier aliment. Sache qu’en temps d’épidémie les médecins n’éprouvent plus de pitié ! (Exeunt.)


Scène II

Une autre pièce dans l’appartement de la duchesse.


LA DUCHESSE, CARIOLA.


La duchesse. — D’où vient ce bruit abominable ?

Cariola. — C’est la bande forcenée des fous, Madame, que votre frère a fait enfermer près de votre logis. Ce supplice n’avait jamais été appliqué auparavant.

La duchesse. — Je remercie sincèrement mon frère. Il n’y a que le tumulte et la frénésie pour contenir ma raison ; la sagesse et le calme me rendraient tout à fait folle. Assieds-toi, Cariola, et conte-moi quelque tragédie atroce.

Cariola. — Vous voulez donc que j’attise votre tristesse ?

La duchesse. — Le récit d’une infortune plus grande que la mienne serait une consolation… Sommes-nous donc en prison ?

Cariola. — Oui, mais vous survivrez à la captivité.

La duchesse. — Autant dire que le rossignol et le rouge-gorge supportent la cage.

Cariola. — De grâce, séchez vos yeux… À quoi songez-vous, Madame ?