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dépouille de son chapeau. Sa sœur, la duchesse, est aussi arrivée ici pour accomplir un vœu. Nous assisterons à une cérémonie émouvante.

Premier pèlerin. — Sans doute… Les voici.

(Scène muette au fond de la chapelle, dans le chœur. Le cardinal se dépouille de la crosse, du chapeau, de la pourpre et de l’anneau. Il dépose ces insignes sur l’autel. Il ceint le baudrier, s’arme de l’épée et du bouclier coiffe le casque. Un acolyte lui chausse les éperons.
Sur ces entrefaites, Antonio, la duchesse et leurs enfants se présentent à l’entrée du chœur ; une pantomime leur signifie un ordre de bannissement au nom du cardinal et de l’État d’Ancône.
Durant toute cette scène on chante un chœur de circonstance [1] accompagné d’une musique très solennelle. Puis les personnages se retirent, à l’exception des deux pèlerins.)

Premier pèlerin. — Étrange retour des choses d’ici-bas ? Qui croirait une si grande dame coupable d’une si criante mésalliance ! M’est avis pourtant que le cardinal la traite avec trop de cruauté.

Deuxième pèlerin. — Ils sont bannis, elle et les siens.

Premier pèlerin. — Je me demande, pourtant, jusqu’à quel point l’État d’Ancône a le droit de contrarier les mouvements d’un prince indépendant.

Deuxième pèlerin. — Ancône aussi est un État libre, mon frère, et le cardinal a fait entendre qu’à la nouvelle des débordements de la princesse, le pape a saisi le duché qu’elle tenait en douaire pour le mettre sous la protection de l’Église.

Premier pèlerin. — Mais encore, de quel droit ?…

Deuxième pèlerin. — Le droit n’importe guère au cardinal ; les instigations de son frère ont suffi…

Premier pèlerin. — Quel objet le cardinal vient-il de retirer avec tant de violence du doigt de la pauvre princesse ?

Deuxième pèlerin. — Son anneau de mariage. Il lui a même annoncé que cet anneau servirait sous peu d’instrument de vengeance.

Premier pèlerin. — Infortuné Antonio ! (Exeunt.)

  1. Dans une note de l’édition de 1623, l’auteur récuse la paternité de ce chant, assez banal d’ailleurs, et que nous nous dispenserons de traduire.G. E.