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DÉLIO. — Ils sont jumeaux ?

Antonio. — Moralement du moins. Le duc parle par la bouche et écoute par les oreilles d’autrui, il atfectera de sommeiller sur son siège de justice uniquement afin d’embarrasser les prévenus dans leurs réponses ; il condamne les gens à mort sur une information et les récompense sur un ouï-dire.

DÉLIO. — Alors la loi pour lui est comme la toile noire et sale pour l’araignée. Il en fait son logis et un cachot pour entortiller ceux qui le nourriront.

ANTONIO. — On ne peut plus vrai. Il n’admet pour créanciers que ceux qui lui ont rendu de méchants offices ; mais aussi il paie ces dettes-là avec usure ! Pour en finir avec son frère le cardinal, ceux qui le flattent le plus disent que des oracles découlent de ses lèvres ; et je les crois certainement, car le diable parle par sa bouche. Mais quant à leur sœur, la très noble duchesse, jamais vous n’avez fixé le regard sur trois belles médailles de caractères si différents réunies en une seule figure. Son discours est tellement plein de charme que l’on s’attriste lorsqu’elle a cessé de parler. Malheureusement, dans sa modestie, elle estime que beaucoup parler est un plaisir frivole et elle craint de fatiguer ceux que son langage comble de ravissement ! En conversant elle vous enveloppe d’un regard si doux qu’il ragaillardirait un paralytique et l’affolerait d’amour. Mais dans ce même regard parle une si divine chasteté qu’elle supprime toute espérance lascive et vaine. Ses jours sont voués à tant de noble vertu, que certes ses nuits, non mieux, son sommeil même est plus céleste que les bonnes œuvres des autres femmes. Que toutes les tendres dames brisent leurs miroirs flatteurs, pour ne plus se mirer qu’en elle !

DÉLIO. — Fi, Antonio, tu passes ses perfections à la filière ! Antonio. — Je rengainerai le portrait ; écoute seulement ceci : le total de ses qualités déshonore le passé et illumine l’avenir î Cariola. — Il vous faut attendre, d’ici à une demi-heure, ma maîtresse dans la galerie.

Antonio. — Je m’y rendrai. [Exeunt Antonio et Délio.) Ferdinand. — Ma sœur, j’ai une requête à vous adresser. La duchesse. — A moi, Monsieur ?

Ferdinand. - Un gentilhomme d’ici, Daniel de Bosola, un qui fut aux galères...

La duchesse. — Oui, je le connais.

Ferdinand. — Au demeurant, un digne gaillard. Je vous en prie, permettez-moi de demander pour lui la provisorerie de vos équipages... La duchesse. — Votre recommandation l’impose à ma préférence...