Page:Webb - Sept pour un secret, 1933.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la corde, elle se penchait un peu en avant, se mordillant les lèvres à chaque coup de la lame et incapable de parler. Puis quand il marquait une petite gorge autour de la cheville, besogne moins dangereuse, elle se détendait. Quand enfin il jetait le piquet sur le tas, elle soupirait, souriait et reprenait son caquet. Ce ne fut donc que par des phrases hachées que Robert apprit comment allait la robe neuve, comment Mlle  Gillian avait acheté une blouse rose toute faite, trois chemises de nuit blanches — et non écrues comme celles qu’elle portait d’ordinaire — des souliers à talon et une voilette, combien elle était ravissante coiffée de la toque en plumes de canard ardoise ; comment elle avait porté six peaux de lapins au meilleur fourreur de la Croix-des-Pleurs et s’en était fait faire un manchon et une palatine ; comment elle avait ri autant qu’une demi-douzaine de piverts et chanté comme vingt merles ; comment, enfin, elles avaient fait de la colle et mis l’étiquette :

Mademoiselle Juliana Lovekin.
Voyageuse pour Silverton.

Ah, que l’œil blanc du pélargonium était triste ! Il semblait presque à Robert qu’une rosée était tombée dans cette pièce paisible, car il la voyait à travers des larmes.

— En voilà des affiquets, fit Jonathan, et tout ça simplement pour aller chez sa tante !

— Partir, c’est s’ouvrir les portes du monde, dit Abigaïl, en versant le contenu du chaudron dans une énorme soupière, puis elle annonça que le souper était prêt. Robert fredonna tout doucement :

Mais si loin que j’aie erré,
je n’ai pu trouver les sourires ou les pleurs
                     de quelqu’un…