Page:Webb - Sept pour un secret, 1933.djvu/62

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
sept pour un secret…

Tout en allumant le feu de la cuisine, elle pensait comme il serait délicieux d’habiter un établissement magnifique comme Aux armes du bouvier, à la Croix-des-Pleurs, où les fermiers se réunissaient et d’où son père lui rapportait des histoires, soigneusement expurgées, quand il revenait des foires ou des ventes aux enchères.

Assise devant la belle flambée produite soudain par une brassée de bruyère et de brindilles, elle lisait, en buvant son thé, le feuilleton du journal hebdomadaire que recevait son père. C’était l’histoire d’une jeune et innocente fille, guère plus jolie qu’elle-même, qui allait à Londres et qui, trahie, vivait dans le luxe et le péché, et finalement mourait. Elle pensait qu’il vaudrait presque la peine de mourir pour voir, entendre et éprouver avant tout les choses merveilleuses que connaissait l’héroïne. « Trahie ! » Quel aliment pour la curiosité ! Quel abîme d’horreur ! Cela rappelait de vieux contes, des romans policiers, — Robert en possédait deux — et Judas Iscariote. C’était pervers, délicieusement pervers, et cela impliquait chez la femme trahie une sorte d’immoralité indirecte qui faisait frémir. Elle avait vécu, cette femme, près d’un an dans un appartement « comme un palais », quelque part près d’un endroit appelé Piccadilly. Gillian supposait que c’est de là que venaient les « pickles »[1], qui parfois remplaçaient les choux au vinaigre fabriqués à la maison. Elle allait au théâtre, portait du satin, des bijoux, du duvet de cygne, on l’appelait « Madame » et on la couvrait de baisers. Elle circulait dans une automobile à carrosserie merveilleuse, avec l’homme qui la trahissait, qui avait plus de six pieds de haut, mesuré en chaussettes — d’un

  1. Dont il existe une marque fameuse, ta « piccalilli ».