Page:Webb - Sept pour un secret, 1933.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
sept pour un secret…

sans que tout le monde le sût. Comme disait sa sœur, Mme Fanteague, « il annonçait sa présence ». La maison retentissait de son pas, de sa voix. Quand il s’asseyait devant le feu, son fauteuil devenait un trône, et le « parloir » une salle d’audience. Quelqu’un entrait-il, il poussait un « Ha ! » et on se sentait découvert. Quand il s’agissait d’acheter ou de vendre des moutons, ce « Ha ! » faisait plus pour lui que n’importe quelle somme d’argent. Il le lançait si fort, si judicieusement, si en connaissance de cause, que le moindre défaut de la marchandise offerte prenait une importance terrible et que le vendeur, si aguerri qu’il fût, ne pouvait voir autre chose, éprouver autre chose que le désir de s’en aller avec son énormité découverte et de se cacher. Très souvent, M. Lovekin n’avait pas vu la moitié de ce qu’impliquait son interjection, mais peu importait. La légende de sa finesse l’entourait comme un chou-fleur d’hiver ses feuilles protectrices. On ne lui offrait jamais que le meilleur, et lui fournissait la première qualité à des prix raisonnables. Aussi s’enrichissait-il, bien qu’il eût hérité d’une ferme en mauvais état et de dettes. Son père n’avait eu ni cette importance, ni cette voix, ni ce « Ha ! ». Il n’avait pas six pieds, six pouces, avec des épaules en proportion, ni pesé dix-huit stones, ni étalé une barbe de patriarche descendant jusqu’à la taille. Ç’avait été un homme bien plus industrieux que son fils, s’y connaissant beaucoup mieux en moutons, méritant de réussir, et il avait échoué lamentablement. Son fils, chevauchant à travers toute la région sur son cob, allant jusqu’aux coteaux escarpés et lointains où l’on se procurait à bas prix des moutons gras, était devenu une personnalité, une puissance. On accueillait sa moindre parole avec respect, on lui gardait un siège près du feu dans les salles d’auberge