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SEPT POUR UN SECRET…

d’eux, c’était lui : il avait assisté au meurtre et à l’enfouissement du corps…

Et Gillian aimait Ralph Elmer…

Il se pourrait qu’elle lui revînt si Ralph disparaissait, mais c’était celui-là qu’elle aimait. Elle le lui avait dit deux fois, et Ruth le savait, puisqu’elle l’avait écrit. Toute la nuit, enveloppé par la neige silencieuse qui lui interdisait l’action, il lutta contre lui-même. Et quand au matin il s’éveilla d’un sommeil agité, il était victorieux.

« Inutile de me résister davantage, se dit-il à lui-même, ou à quelque inconnu invisible. J’ai dit que je le ferai, c’est comme si c’était accompli. »

Et, apaisé par cette pensée, il jeta un fagot sur le feu et se fit une tasse de thé.


Il ne pouvait rien faire avant le dégel, car s’il se tuait maintenant (et telle était son intention), il condamnerait toutes les pauvres bêtes de la ferme à mourir de faim. Il fallait attendre que la neige eût commencé à fondre, qu’il fût sûr que quelqu’un viendrait bientôt à la ferme. Le boucher passait le mercredi. Si alors il s’était mis à dégeler… oui, c’était cela, mercredi. Personne ne connaîtrait jamais ses pennillions ni son poème sur la lande.

Quelle torture !… c’était la négation de tout ce qu’il était, de tout ce qu’il avait rêvé d’être. Il se sentait incapable de le faire. Il y avait de la beauté dans ses poèmes : Gruffydd le lui avait dit. Ils étaient tout ce qu’il y avait de meilleur en lui, surtout le long poème sur la lande. Et ils lui avaient tant coûté ! Car les mots et le mètre d’une œuvre, sa composition proprement dite, sont bien peu de chose en comparaison de tout ce qui précède : c’est la faculté de souffrir et de se réjouir,