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SEPT POUR UN SECRET…

à Gillian où Isaïe serrait une certaine recette de remède, car il avait une vache malade. Au moment où il repartait, elle avait dit avec intention : « Je suis seule. »

— Où est donc Ruth ? avait-il demandé.

— Elle ramasse du bois. Elle est sortie après le dîner et n’est pas encore rentrée.

« Elle doit être dans le verger, pensa Robert, la couche de neige est trop épaisse dans la friche. »

Pour traverser le pont au bout du champ par lequel on gagnait l’auberge, Ralph avait à passer par la friche. Le crépuscule était venu ; mais, avant d’être à mi-chemin, il aperçut Ruth agenouillée devant une sorte de berceau de branchages : c’était le sanctuaire dans lequel elle rendait un culte à son dieu. Tous les trésors qu’elle avait recueillis, le mouchoir, un crayon, une fleur que Robert lui avait donnée un jour, étaient réunis là, enfouis sous des aiguilles de pin, dans une vieille boite en métal. Les jours de fête, elle venait là, les sortait de leur écrin et les adorait. Sa face levée exprimait le ravissement, elle se répétait le nom par excellence : « Robert Rideout ! Robert Rideout ! »

Puis elle ajoutait : « Ailse aime Robert ! Oh, Ailse aime Robert ! » Après quoi elle baisait le vieux mouchoir rouge et l’appuyait sur son cœur.

« Elle n’a jamais eu d’âme, se dit Ralph, et maintenant elle est folle. »

Il ne voyait dans cette scène émouvante, sous la neige qui tombait, que manque d’âme et folie. Mais qu’importait ce qu’il voyait ? Ce que comprennent les imbéciles de ce monde a-t-il jamais de l’importance ? Et à coup sûr, Ralph, malgré toute son intelligence, était un imbécile.

Tandis qu’il se tenait là, ce que Robert avait depuis si longtemps prévu se produisit. De quelque part, de nulle