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SEPT POUR UN SECRET…

mal un de ses motifs d’action, tandis que cela pourrait arriver à sa mère. Elle serait incapable de le froisser sans le vouloir, comme faisait Gillian. Elle, qui peinait durement jours de semaine et dimanches, était son repos ; elle, qui était muette, parlait par la voix du silence. Ainsi, il arrivait à Robert, comme à bien d’autres, que la femme qui tenait son âme comme un bébé dans ses bras n’était pas celle qu’il aurait choisie pour être la mère de ses enfants, n’était pas celle qu’il aimait, en présence de laquelle le temps fuyait sans bruit et qui avait pour don l’éternité. C’était Gillian qui lui coupait la respiration, au point que souvent il ne pouvait rien lui dire, mais c’était Ruth qui savait, au plus profond d’elle-même, tout ce qui concernait cet étrange mystère qu’il était, qui s’étonnait avec lui, qui avait pitié, qui comprenait.

De temps à autre, comme l’ont fait de tout temps les hommes, Robert transformait Ruth en madone. Sans se rendre compte de ce que faisait son moi secret, il élevait un petit sanctuaire et l’y plaçait — féminité spiritualisée à la beauté triste, sans rien de provocant. Il sentait qu’il aurait très aisément pu lui raconter sa malheureuse aventure avec une fille de Shepcot quand il avait dix-huit ans. Seulement ce n’était pas nécessaire. Elle comprenait les furieux appétits qu’il portait en lui, elle savait comme le sang vous bat jusque dans les oreilles, comment le désir sauvage s’empare de vous, comment, plus vous êtes resté pur et sain, plus la passion est folle quand elle vous saisit. Gillian, elle, ne l’aurait pas su. Il fut pris de honte à la seule pensée de Gillian en contact avec cet ancien épisode de son existence. Gillian elle-même allumait ces aspirations farouches, elle était, comme lui, un aliment pour ce feu-là. Il est presque impossible à une femme d’éveiller