quelques instants. Isaïe venait prendre le thé, en grande cérémonie, et Gillian lui rendait sa visite avec Elmer. Souvent, dans l’après-midi, elle mettait sa plus jolie robe, en percale ornée de roses et de rubans roses, et traversait les champs pour aller voir son père. D’autres fois, elle allait avec Elmer chez les femmes ou filles de fermiers qui étaient de ses amies. Ou bien, escortée de Ruth, elle partait cueillir des baies à travers la lande. Mais, en tout cas, elles se retrouvaient toujours, pour la leçon d’écriture, dans la petite chambre nue du grenier. Et Gillian, en qui s’était éveillée une douceur et une perspicacité exceptionnelles, s’efforçait de faire de ces heures un plaisir pour la petite bonne à tout faire. Elle disait à Ruth de mettre la bouilloire sur le feu et, dès que les hommes étaient sortis, elle préparait le plateau avec les jolies tasses décorées de violettes que lui avait données sa tante Fanteague, puis elles faisaient le thé, installaient le plateau sur l’appui de la fenêtre du grenier, et rapprochaient leurs chaises, comme des enfants qui font la dînette en se cachant. L’application de Ruth faiblissait-elle, Gillian n’avait qu’à lui rappeler que Robert désirait qu’elle apprît vite, et le visage sombre rougissait, les mains rudes et noueuses couraient sur le papier. Elles y passaient parfois l’après-midi entière ; il arrivait même que Gillian, après s’être mise au lit de bonne heure, grimpât en secret à la chambre de Ruth pour continuer la leçon à la clarté de la lune.
Un jour, un merveilleux et mémorable jour, Robert était venu pour couvrir de chaume la meule. Elmer ne savait pas le faire et Fringal, très paresseux, avait suggéré d’en charger Robert. Celui-ci prit donc son dîner et son thé à l’auberge. Comme un lot de moutons récemment achetés s’était égarés et qu’EImer et Fringal avaient dû partir à sa recherche, elles servirent le