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SEPT POUR UN SECRET…

Tout à coup elle se baissait, très légèrement, très doucement, lui mit un baiser sur le front. Il se redressa d’un bond et lança, la voix rauque :

— Je vous suis bien obligé… Madame Elmer !

Et il gagna la porte en titubant.

Gillian, les mains crispées sur le bois verni du piano, sanglota jusqu’à ce que la nuit fût tombée et que son père rentrât, et alors elle courut se laver la figure pour qu’il n’y vît pas la trace de ses larmes.

« Et il faudra que cela dure toute notre vie, se dit-elle, cela va durer cent mille ans ! »


Robert, complètement abasourdi par la douceur de ce baiser, se disait, lui : « Elle a fait cela pour s’amuser, elle ne tient pas à moi, elle ne sait pas que je l’aime… elle ne peut pas le savoir, ajouta-t-il naïvement, puisque je ne lui en ai pas soufflé mot. Je ne lui ai pas encore montré les pennillions et le poème. Elle a fait ça parce que c’est une petite flirteuse et qu’elle a voulu voir ce que je dirais. »

Oh, triste et cruelle ironie de la vie, qu’un rire joyeux, un sourire des lèvres ou des yeux puisse tromper même un amoureux quand le cœur en dedans se meurt, que, quand nous faisons notre suprême et frénétique effort pour saisir ce qui est notre vie même, on croie que nous plaisantons… comme on pourrait dire au malheureux poisson, pâmé et frétillant à l’hameçon, mourant du manque d’eau : « Ah, quelle danse amusante tu nous fais voir ! Tu es le meilleur des baladins, petit poisson ! »

Ce ne fut que la veille même de son mariage qu’elle se risqua de nouveau à adresser la parole à Robert. Elle avait joué du piano, chanté en s’accompagnant, et elle avait parfois entendu son pas s’arrêter sur le sentier voisin. Mais ils n’avaient pas échangé un mot jusqu’à