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coupe-navets. Quand il retournait le jardin, il se bêchait les pieds, quand il coupait du bois, des éclats lui sautaient au visage comme des oiseaux furieux. Allumait-il un feu de joie, les flammes jaillissaient à un hauteur folle pour lui roussir la barbe. Cette particularité de la nature inanimée — ou de Jonathan — était bien connue dans la lande et on s’en amusait copieusement, du Donjon Mallard, situé au Nord, jusqu’à la petite ville sombre et accidentée de la Croix-des-Pleurs, au Sud. On s’en divertissait avec la gaîté paisible, sans commentaires, et durable de la campagne. Le jour où Abigaïl le rencontra, on s’en réjouissait au Donjon, où était le marché hebdomadaire et où on venait faire ses achats ordinaires, réservant les acquisitions de Noël, de mariage ou d’enterrement pour la Croix, plus éloignée. Jonathan avait fait des emplettes. Sous un bras, il tenait un sac de grain pour la volaille, sous l’autre du son. Les deux sacs, sachant qu’ils avaient affaire à Jonathan, avaient crevé, et une foule le suivait, avec une allégresse extatique et silencieuse, tandis qu’il s’avançait, digne et émouvant, vers l’auberge, et qu’une traînée de grain et de son rappelait un « rallye-paper ». Elle avait entendu parler de Jonathan — qui ne le connaissait pas ? — et cette vision qu’elle eut de lui acheva de lui prouver qu’il avait besoin de soins maternels. Elle lui dit tout de go ce qui se passait, et ses « Mon Dieu, mon Dieu ! » et son sourire lui parurent adorables. Elle enveloppa ses paquets et écouta ses explications avec sympathie. « Je ne sais pas ce qu’ont les choses, disait-il, on les croirait ensorcelées. » Elle ne rit pas. Il y avait en elle une sorte de sagesse d’autrefois qui s’accordait avec son ferme et rose visage, avec sa figure de rouge-gorge. Elle savait que le ciel n’est pas le même pour tout le monde : la pluie ne tombait pas