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« Si je ne savais pas que John Rideout t’a fait bien longtemps avant que je ne prenne en pitié le pauvre Makepeace — et John Rideout c’était un homme de fer et il est bizarre que je sois tombée maintenant sur un fétu de paille — je croirais presque que tu es de Makepeace, ma foi. Rêveur, rêveur ! »

Et elle se mit à rouler, à battre et à hacher comme si son fils et son second mari étaient sur la planche et qu’elle les façonnât à sa guise. Mais John Rideout, l’homme de fer, lui restait dans l’esprit comme un gaillard qui ne se laissait pas manœuvrer. Après sa mort elle avait considéré tous les autres hommes comme autant d’enfants à soigner et à sermonner, et Jonathan Makepeace étant le plus maladroit qu’elle eût jamais rencontré, elle l’épousa. Elle l’avait vu pour la première fois un jour de marché au Donjon. Grand, maigre, avec ses cheveux longs et sa barbe qui flottaient au vent, ses doux yeux bleux rencontrèrent ceux de la brave femme avec la tristesse de celui qui gémit : « Quand je leur parle de paix, ils se préparent à la bataille. » Car tel était le drame de Jonathan Makepeace : depuis la première fois qu’il avait pris un hochet dans sa main, la matière inerte avait été son ennemie. Il était l’illustration vivante de cette théorie que la matière se met en travers du chemin de la vie. Dans ses rencontres avec Jonathan, ce n’était jamais celui-ci qui remportait la victoire. Les pots s’échappaient de ses mains, baquets et réservoirs l’inondaient de leur contenu, les nappes s’accrochaient au moindre bout de métal qu’il avait sur lui, entraînant tout ce qui garnissait la table. Ramassait-il des fruits, une averse de pommes lui tombaient sur la tête ; pêchait-il, il glissait dans l’eau. Plus un morceau de vêtements et un fragment de doigt avaient été immolés à ce Moloch qu’était le