Page:Webb - Sept pour un secret, 1933.djvu/283

Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
SEPT POUR UN SECRET…

à poils ou à plumes de la ferme s’étaient endormis.

Au repos de la Sirène, Fringal avait soigné ce qui lui restait de bêtes et demandé son souper, du pain, du fromage et de la bière, et Ruth, après le lui avoir apporté, avait grimpé par l’escalier qui craquait jusqu’à son grenier sous le pignon et là avait ôté les épingles de ses épais cheveux ternes, s’était lavé la figure, puis, ayant passé sa chemise de calicot écru, s’était agenouillée. Mais c’était pour s’absorber non dans une prière, il serait plus juste de dire dans une extase. Elle avait étendu sur son lit un grand mouchoir de coton rouge que Robert avait égaré en aidant à l’emménagement. Elle l’avait lavé, repassé, plié avec des brindilles de citronnelle et serré dans un tiroir.

Tous les soirs elle l’en sortait et, à genoux devant son lit, y appuyait sa figure. Ses cils noirs reposaient sur des joues que rougissait une passion aussi platonique et intense qu’elle était inconsciente.

Elle était presque superbe — elle ne pourrait jamais être jolie ou charmante, mais uniquement laide ou superbe — ainsi agenouillée, émue et rougissante d’un amour qui était un tourment parce que rien ne venait l’alléger : elle ne pouvait même pas prononcer son nom. Elle pouvait uniquement, avec une tendresse qui lui bouleversait le visage, et en même temps la transfigurait, appuyer avec force sa joue sur la cotonnade rouge ornée de fers à cheval blancs, que Mme Makepeace considérait comme un dessin si délicieux, et que Ruth contemplait, comme un mystique les tentures de son autel, ainsi qu’un objet qui avait connu la présence sacrée du dieu de l’amour.

Car pour Ruth, qui ne savait rien ni de Dieu ni de ses semblables, en dehors des manières brutales qu’elle avait observées chez Elmer et chez Fringal, pour elle,