son visage n’aurait plus la fraîcheur que donne le grand air, ne serait plus hâlé, avec la maigreur qui révèle la santé. Il deviendrait semblable à M. Gentil, et ce serait affreux. Éveillée, elle se rappelait encore ce rêve et était impatiente de trouver Robert, de le lui raconter. De lui raconter quoi ? Comme il se moquerait d’elle ! Il fallait pourtant le trouver.
Elle courut donc de la bergerie à la cour des meules, de l’écurie à l’étable, mais ne réussit pas à le découvrir. Et alors arriva Elmer, tout brûlant du désir de partir.
Mais même tandis qu’ils roulaient dans la voiture, elle dans toute la fierté que lui donnait la conscience de sa beauté et l’admiration qu’elle inspirait, lui plein d’entrain, avec la certitude du succès, un présage de désastre pesait sur elle. Elle lutta contre lui et, après quelques milles, grâce au grand air vif et bleu, il disparut.
— Je n’ai encore jamais été à cette foire, dit-elle. Il y aura probablement une masse de monde ?
— Moi non plus, je n’y suis jamais allé, mais je suppose qu’il y aura foule. D’ailleurs il n’y aurait personne, que ça me serait égal.
— Oh ! que serait-ce qu’une foire sans personne ?
— Il y aurait vous.
— Est-ce que je peux acheter, et vendre, et ainsi de suite ?
— Parfaitement.
— Bonne mère ! je n’ai pas d’argent.
— Vous possédez ce que l’argent ne peut acquérir.
— Qu’est-ce que ça peut être ?
— L’amour.
Le mot retentit comme une détonation — comme un coup de fusil dans un bois silencieux, au flanc d’une colline.