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SEPT POUR UN SECRET…

parcimonieusement il est vrai, leurs pommes brunes sur le sol également brun et sablonneux. Un nid de pie s’accrochait à l’arbre le plus haut et une pie restait perchée toute la journée au-dessus de l’eau qui chantonnait doucement, rêvant et rêvant sans cesse, comme si elle connaissait la chanson de Gillian et méditait sur « le secret qui n’a jamais été révélé ». Les fougères, poussant de façon mystérieuse et délicieuse, montaient de plus en plus haut, jusqu’à atteindre les épaules de Robert. La douce-amère enguirlandait les haies et l’ail mêlait sa senteur mordante à celle, plus soporifique, de la ciguë. Sous les prunelliers au feuillage sombre et les buissons de cornouillers, on trouvait çà et là, parmi les aiguilles de pins, de jolies petites touffes de sanicules, aux gracieuses feuilles qui rappellent celles du lierre et aux gros boutons qui en Mai s’épanouissent en écume blanche, — la sanicule qui, disent les vieux livres, guérit toutes les meurtrissures extérieures et les blessures internes, et qui est l’emblème adorable, éphémère et hardi de l’amour.

En ce moment, où Avril allait faire place à Mai, on eût dit qu’en silence et avec patience des mains invisibles commençaient à préparer le décor d’un drame. Les aiguilles de pin neuves sortaient, les feuilles d’orme et d’aune se déroulaient, les prunelliers étaient en fleurs, le lychnide blanc s’était fermé, les mélèzes étalaient leurs fleurs roses. Ces fleurs seraient devenues des cônes, le lychnide serait brisé, les feuilles des ormes et des aunes seraient dispersées parmi les aiguilles de pin, des fruits noirs pendraient légèrement au prunellier nu, quand viendrait cette tempête de neige que prévoyait l’âme de Robert.