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fit une toilette sommaire, mit sa dignité de côté et descendit à la cuisine où il tourna autour des pieds agiles de Mme Makepeace, très affairée entre le garde-manger et le grand feu à découvert, avec son four d’un côté et de l’autre sa chaudière gazouillante.

Près de la table de cuisine se tenait Gillian Lovekin : son vrai nom était Juliana, mais on avait continué, dans la famille Lovekin, à traiter ce nom à la vieille mode. Elle débarrassait des raisins de leurs pépins. Elle mettait dans sa bouche un grain sur six, avec ravissement et d’un air de défi, se souvenant que c’était elle et non Mme Makepeace la maîtresse de la ferme. Elle n’avait que seize ans à la mort de sa mère. Sa première pensée, elle se le rappelait avec remords, avait été que désormais elle serait la maîtresse. Elle avait dix-huit ans ce soir de préparatifs et venait juste de quitter le deuil. Ni grande ni petite, ni grasse ni mince, ni brune ni blonde, elle n’était ni laide ni jolie. Il y avait en elle de vilains détails, comme la cicatrice qui coupait un côté de son front, ce qui déparait ce profil-là, un peu dur et fendu. La racine de son nez était beaucoup trop haute — ce genre de nez qui est un héritage gallois assez commun dans l’Ouest — ce qui lui donnait, même dans ses moments d’extrême douceur, un air autoritaire. Mais sa bouche était sensible et délicate, capable de céder parfois, et ses yeux trouvaient tant de plaisir dans tout ce qu’ils contemplaient, voyaient tant de sources de splendeur dans les choses vulgaires, qu’ils vous séduisaient, vous tenaient sous le charme et ne vous permettaient pas de la trouver ordinaire ou insignifiante.

Elle aimait se donner des airs pour faire sa tâche quotidienne : ainsi c’était dans la vieille coupe de Staffordshire — envoyée de ce comté en cadeau de mariage