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la pitié, plus angoissante, plus tenace que celle de la terreur, la profonde, la furieuse pitié qui conduisit le Christ au calvaire et qui a rendu certains hommes fous, serrait le cœur de Robert Rideout comme jamais elle ne l’avait fait dans la bergerie ou dans la hutte de l’agnelage. Il la sentait là, il la sentait à travers toutes les choses sombres et amères qui se cachent sous la vie riante des fermes comme sous l’existence joyeuse du monde. Il n’avait encore rien vu de comparable à cette femme. Elle portait en elle, semblait-il, l’infinie, la silencieuse agonie des créatures muettes : leur mutisme était aussi le sien, seulement elle était capable de raisonner. Ainsi que se le disait Robert : « Elle peut calculer ce que font deux et deux, elle connaît les choses, ce n’est pas une brute, et voilà le malheur. »

Et tout en déballant tasses et soucoupes il murmurait :

— Les mots lui manquent, voilà ce que c’est, une douleur brûlante et les mots qui manquent.

Et les yeux sombres et brillants ne le quittaient pas.

— Où est la bouilloire ? demanda-t-il. Allez m’en chercher une, ma petite.

Docilement elle se leva pour aller prendre, sous la pluie, une bouilloire dans la charrette.

— Maintenant ôtez votre chapeau, car ce n’est plus qu’un chiffon trempé, et puis vous irez laver ces tasses à la pompe pour les débarrasser de la paille.

Impassible elle fit tout ce qu’il lui disait, avec une obéissance qui lui fit l’effet d’être celle d’un chien souvent battu. Son effort de jovialité échouait devant elle.

— Là, dit-il, maintenant nous allons mettre le couvert et vous vous assoirez à la table pour nous servir le thé.

Elle prit la place qu’il lui indiqua, sans que changeât