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de s’écarter des bonnes manières — ce pathétique échappait complètement à Gillian. Depuis bien des années il chantait cet air, sans avoir seulement fait d’Émilie la reine de son foyer. Pour Gillian ils représentaient deux énigmes et elle s’impatientait. Elle concevait un projet amusant qui lui vint quand M. Gentil prononça :

Oh, fêter tous deux le mois de Mai…

Elle lui ferait chanter cela en duo avec elle. Il l’emmènerait en bateau sur la rivière… sans Émilie. Elle verrait si elle réussirait à faire rougir M. Gentil comme avait rougi Robert, à le mettre en colère, à faire trembler ses mains comme celles de Robert au salon de thé. Si elle était tante Émilie, elle aurait vite obligé M. Gentil à se déclarer. Tante Émilie était maladroite.

« Peut-être, songeait-elle, si je l’amène à me faire un aveu, parlera-t-il ensuite de son amour à ma tante. » Mais au fond de son cœur elle sentait que ce n’était pas bien joli. Quel besoin avait-elle de troubler cet homme mûr, cette femme laissée pour compte, qui tous deux se contentaient de rester à jamais sur une eau stagnante ?

Sa conscience l’avertissait, telle une cloche qui tinte, mais elle restait sourde à sa voix plaintive. Elle s’endurcissait comme le jour où elle avait tranché la tête au canard ardoise. Elle était une enfant du péché… n’était-elle pas marquée d’une cicatrice ? Elle était prête à célébrer les « jeux de Mai » avec M. Gentil, avec Robert, avec n’importe qui. Seulement il y avait chez Robert quelque chose d’inflexible, une volonté plus opiniâtre que la sienne, mais d’une qualité différente.

M. Gentil chanta toutes ses romances, en dernier Annie Laurie, qu’il s’accompagna lui-même, et pendant qu’il la disait ses yeux ne quittaient pas Gillian. La