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« Vous auriez dû vous faire remplacer, lui dis-je encore.

— Vous savez bien qu’on ne remplace pas chez nous, fit-il, tout le monde marche dans la ligne ou dans la landwehr. Peut-être, ajouta-t-il en remuant le pouce, au moyen de ça, le chirurgien du régiment m’aurait-il délivré un certificat pour faiblesse de constitution ; mais c’était assez difficile à cause de ma corpulence, et puis je pensais que tout s’arrangerait après une bataille, comme la première fois ; c’était toujours deux ou trois mille thalers d’épargnés. J’ai eu tort ! Oui !… si c’était à recommencer, j’aimerais mieux faire ce sacrifice que de recevoir les soufflets du baron de Krappenfels. »

Ce disant, il referma les yeux et s’étendit sur le dos, la figure si mélancolique que je lui dis tout-ému :

« Tenez, monsieur Hirthès… dans ce petit secrétaire, vous trouverez des plumes, de l’encre et du papier. Écrivez votre lettre, et demandez de l’argent à madame votre épouse quand il vous plaira, pourvu que ce soit bientôt, car nos provisions touchent à leur fin.

— Oui, mon cher monsieur Auburtin, fit-il, et il faut aussi que je vous demande un petit service.

— Quoi donc ?

— C’est d’écrire une attestation comme quoi je suis, très malade ; ayant les mains et les pieds gelés, ce qui me met dans l’impossibilité de quitter votre maison. Vous le ferez légaliser par le maire de la commune, et nous l’enverrons à Mgr Bismarck-Bohlen, gouverneur d’Alsace ; par ce moyen, on ne me recherchera plus, je resterai tranquillement ici jusqu’à la fin de la guerre. J’ai toujours eu l’amour de la paix !

— C’est bon, lui répondis-je, je vais écrire ce certificat de ma plus belle écriture, ne craignez rien… vous ne serez plus recherché. »

Et descendant aussitôt, je prévins ma femme d’avoir à monter du bois tous les jours dans la chambre de M. Hirthès, d’allumer son feu chaque matin et de le soigner du mieux que nous pourrions, ne doutant pas qu’un homme aussi riche ne finirait par nous récompenser généreusement de nos sacrifices et de nos peines.

Or la lettre de cet honnête bourgeois et mon attestation