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de Buénos Ayres, desorte qu’on ne trouve, dans toute cette Côte de quatre cens lieues de longueur, et aussi avant dans les terres que les découvertes ont pu s’étendre, que quelques chétives brossailles. Le Chevalier Narborough, que Charles Second envoya exprès pour découvrir cette Côte et le Détroit de Magellan, et qui en 1670 hiverna dans le Port St. Julien et dans le Port Désiré, assure qu’il ne vit pas dans tout le Païs, un tronc d’arbre assez gros pour en faire le manche d’un Couperet.

Si ce Païs manque de Bois, en récompense il abonde en Paturages. Il ne paroit composé que de Dunes, d’un terrain sec, léger et graveleux, entremêlé de grands espaces stériles, et de touffes d’une herbe forte et longue. Cette herbe nourrit une quantité immense de Bétail : les Espagnols, qui se sont établis à Buénos Ayres, ayant apporté des Vaches et des Taureaux, d’Europe, ces animaux y ont tellement multiplié, et ont si bien rempli le Païs, que personne ne daigne se les approprier, et que les Chasseurs les tuent par milliers, seulement pour en avoir les Cuirs et le Suif. La manière dont se fait cette chasse est très particulière et mérite d’être décrite. Les habitans de ce Païs, Espagnols ou Indiens, sont d’excellens hommes de Cheval. L’arme dont ils se servent pour cette chasse est une espèce de Lance dont le fer, au-lieu d’être ajouté au bout du bois suivant la même direction, comme dans les Lances ordinaires, a son tranchant perpendiculaire au bois. Armés de cet instrument, les Chasseurs environnent la Bête, et celui qui peut lui gagner la croupe, lui coupe le jarret. L’animal tombe ordinairement du premier coup ; les Chasseurs le laissent-là et vont à la quête d’un autre. Quelquefois une seconde troupe suit les Chasseurs, pour écorcher les Bêtes tuées, mais on dit que souvent les Chasseurs aiment mieux laisser languir ces animaux jusqu’au lendemain, dans l’idée que la détresse qu’ils endurent fait créver les vaisseaux lymphatiques et les rend plus aisés à écorcher. Les Prêtres se sont déclarés contre cette cruauté, et ont même été, si ma mémoire ne me trompe, jusqu’à excommunier ceux qui la pratiquent ; mais ils n’ont pu réussir à la déraciner.

Quoiqu’on détruise un grand nombre de Bêtes tous les ans, pour en avoir le Suif et les Cuirs, on a souvent besoin aussi d’en avoir en vie et sans blessures, tant pour l’agriculture, que pour d’autres usages ; dans ce cas, les Chasseurs savent les prendre d’une manière singulière et avec une adresse incroyable. Ils se servent pour cet effet d’une espèce de Laqs, composé d’une forte courroie de cuir, de plusieurs brasses de longueur,