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L’égalité des biens et des fortunes, dit-on, n’est pas la Justice ; on va même jusqu’à dire qu’elle est contre la Justice.

Assurément, l’égalité des biens et des fortunes provoquée violemment est injuste. Nous ajouterons, par exemple, comme correctif, que l’inégalité des biens et des fortunes favorisée frauduleusement n’est pas moins injuste. Égalité des conditions ; inégalité des positions : voilà la loi du monde social. L’État pour tous, et chacun pour soi.

« C’est en rompant l’égalité que la société naquit, dit M. Blanc-Saint-Bonnet ; c’est pourquoi la charité est la dernière loi de la terre…

« Vous répétez que l’Evangile a proclamé l’égalité des hommes : c’est faux. L’égalité est un faux nom de la Justice. L’Évangile savait si bien l’inégalité qui résulte de notre liberté, qu’il institua la charité pour ce monde, la réversibilité pour l’autre. L’égalité est la loi des brutes ; le mérite est la loi de l’homme. » (De la Restauration française, p. 90 et 124).

Il est certain que M. Blanc-Saint-Bonnet a parfaitement raison, quand il déclare qu’il résulte une certaine inégalité de notre liberté, que le mérite est la loi de l’homme. Faute de connaître l’égalité naturelle et la justice commutative, il fait à l’Évangile le plus sanglant outrage. M. Proudhon, lui, voit bien l’égalité naturelle, mais non la loi du mérite, Chacun des deux adversaires s’enfonce dans son point de vue exclusif : le partisan de l’égalité nie impertinemment l’inégalité, le partisan de l’inégalité blasphème l’égalité.

L’année 1789 a sonné. Toutes les anciennes hypothèses légales, admises jusqu’alors comme l’expression pure de la Justice et sanctionnées par la religion, sont reprochées par le nouveau législateur : droits seigneuriaux, hiérarchie de