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Je proteste encore une fois qu’il ne m’est jamais arrivé, quant à moi, de croire que le théorème des triangles semblables, les lois de Képler ou les résultats de la théorie de la valeur pussent me nuire ou me contrarier.

Toutes les fois qu’il y a rencontre entre l’esprit libre et la fatalité de la nature, la dignité du moi en est froissée et amoindrie ; elle rencontre là quelque chose qui ne la respecte pas, qui ne lui rend pas justice pour justice et ne lui laisse que le choix entre la domination et la servitude. Le moi et le non-moi ne se font pas équilibre. Là est le principe qui fait de l’homme le régisseur de la nature, sinon son esclave et sa victime.

L’antinomie reparaît. Au reste, nous devions bien nous douter, en suivant M. Proudhon sur le terrain de la morale, que nous l’y retrouverions caracolant sur son grand dada de bataille. L’opposition entre la nécessité et la liberté n’est point aussi profonde que la fait M. Proudhon. Disons mieux : la nécessité et la liberté s’opposent moins l’une à l’autre qu’elles ne se corrigent, au contraire, qu’elles ne se font valoir l’une par l’autre, qu’elles ne s’harmonisent ensemble. Où irons-nous, grand Dieu ! s’il n’y avait dans ce monde que de la liberté et point de nécessité, si les plus fougueux élans de la volonté de l’homme ne rencontraient une infranchissable barrière dans la fatalité de la nature ! Il a pu se trouver un jour un despote capable de souhaiter que son peuple n’eût qu’une tête, pour la trancher d’un coup : De tels monstres sont rares ; mais les fous ne le sont-ils pas beaucoup moins ? Et demain peut-être il s’en trouverait un capable d’anéantir la chaleur du soleil et la lumière du jour, pour le bonheur de l’humanité !