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boter des planches, à tailler des pierres, à labourer le sol. C’est un témoignage aussi peu flatteur à se rendre que d’avoir passé sa vie à enregistrer des actes, à plaider des procès d’héritage ou de séparation de corps, à guérir des fièvres ou couper des jambes. C’est encore un triste témoignage à se rendre que d’avoir passé sa vie à appareiller des rimes, ou à raisonner de la valeur et de l’échange du capital et du revenu, de la rente et de l’impôt, comme a fait M. J.-B. Say qui peut-être ne s’est jamais soucié beaucoup de la botanique, de la médecine, de l’histoire, de la peinture, de la musique, ou de voyager en Italie.

Tout cela serait abrutissant, asservissant. Pas le moins du monde ; ce qui abrutit, ce qui asservit le travailleur, ce n’est pas la spécialité, c’est l’excès du travail spécial auquel il est propre, c’est le salaire insuffisant parce qu’il est perpétuellement écorné, rogné par l’impôt, c’est la misère que ne peut vaincre l’excès du travail.

L’idéal de l’ordre social, c’est que le travailleur, en se livrant au travail auquel il est propre, réussisse à gagner sa vie, à satisfaire aux exigences du présent en se ménageant des ressources pour l’avenir, par une journée de huit ou dix heures de travail ; et qu’il ait ensuite le loisir de cultiver son esprit, d’intéresser son cœur, soit en oubliant un peu sa spécialité, soit en tendant à l’élargir. Nous entendons tous les plaintes qui s’élèvent dans toutes les classes de la société contre un travail abrutissant et asservissant, c’est-à-dire contre un travail excessif et mal rétribué. Or la morale