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d’un même fait antérieur. Ce fait, que Bastiat ignore aussi complètement qu’il est possible, c’est la limitation dans la quantité des utilités, limitation qui rend du même coup les choses utiles : 1° valables et échangeables, 2° appropriables.

C’est là une première erreur. Elle est de peu d’importance à la rigueur. Mais que dire de la confusion que fait Bastiat entre l’appropriation et la propriété ? La propriété n’est point l’appropriation, c’est l’appropriation légitimée par la raison, par la justice. En confondant ces deux faits si différents, Bastiat anéantit d’un mot l’élément moral de la propriété, c’est-à-dire son élément essentiel, constitutif. En énonçant que la propriété procède de l’onérosité, il supprime le droit, foule aux pieds la personnalité, dégrade l’homme, avec M. Thiers, pour le rejeter au rang des brutes. Non, malgré M. Proudhon, malgré M. Thiers, malgré Bastiat, la propriété ne procède point de la nécessité, de l’instinct ; elle procède de la liberté.

Enfin, pense-t-on que j’aie oublié ma langue maternelle, pour venir me dire que l’utilité gratuite est le domaine de la communauté ? J’avais pensé jusqu’ici que le droit de propriété, simple dans son principe, s’exerçait sous deux modes : sous le mode de la propriété individuelle, et sous le mode de la propriété collective ou de la communauté. Je savais bien que des héritiers sont propriétaires en commun de meubles et d’immeubles avant licitation ; que des congrégations, que les hospices, que les communes, que certaines sociétés industrielles possèdent en commun des biens d’espèces diverses. Je n’ignorais point que tous les Français possèdent en commun des routes, canaux, édifices publics, etc., etc. L’on vient aujourd’hui m’apprendre que nous sommes propriétaires en communauté de l’air atmosphérique, que nous ne saurions posséder collectivement que de la richesse ainsi gratuite. Quelle ignorance profonde de la nature et du fondement du droit de propriété !

La propriété, dit Bastiat, c’est le droit de s’appliquer à soi-même ses propres efforts, ou de ne les céder que moyennant la cession en retour d’efforts équivalents[1].—Voilà donc ce qu’est, pour Bastiat, le principe de la propriété ! Mais passons ; ce n’est point la question morale qui nous occupe ici, c’est le problème

  1. Harmonies économiques, Propriété, Communauté.